Entretien avec Michèle Murray
Propos recueillis par Montpellier Danse, le 7 février 2024 à l’Agora, cité internationale de la danse
Votre nouvelle création pour le prochain festival est un peu différente de tout ce qu’on a déjà vu de vous, puisque vous travaillez avec les 25 danseurs du Ccn-Ballet de Lorraine. Pouvez-vous nous rappeler la genèse de ce projet ?
C’est le directeur du Ballet de Lorraine, Petter Jacobsson, qui m’avait proposé de créer une pièce de 30 minutes pour les 25 danseurs du ballet en 2023. Bien sûr, j’ai sauté sur l’occasion en me disant que ça n’arriverait peut-être qu’une fois dans ma vie. Pour Montpellier Danse, on va la finaliser et la développer pour créer une pièce qui va durer une heure à peu près.
Vous qui travaillez à partir des corps des danseurs, là, il y en a 25. Qu’est-ce que ça change, pour vous ?
Ça change forcément au niveau du résultat, mais ma manière de travailler reste la même. Je pars de la situation dans laquelle je suis au moment de créer. Dans ce cas, c’est la présence de groupe de 25 danseurs et des danseuses qui a été la clé. C’est surtout le sujet qui change : comment exploiter la possibilité que nous donne le nombre tout en faisant ressortir la singularité de chacun ? Le titre « Dancefloor » m’est venu justement à l’annonce du nombre des danseurs. Ils ont presque tous une formation très poussée en danse classique, ils ont traversé beaucoup de techniques contemporaines différentes, et des expériences de danse en club aussi ! L’enjeu va être de savoir comment faire vivre, ensemble, ces différentes danses.
Vous dîtes souvent qu’une pièce naît des questionnements de la pièce précédente. Quelles sont les interrogations auxquelles vous tentez de répondre dans Dancefloor ? Et quelles questions ce spectacle posent-ils pour les suivantes ?
Il y avait dans la création précédente, Empire of flora, que j’avais créé à Montpellier Danse en 2022, l’idée du printemps, du foisonnement, de l’éclosion, de la saturation. C’est quelque chose que j’ai voulu développer avec 25 interprètes au plateau. Ça, c’est quelque chose qui me vient d’Empire of Flora. Ma manière de travailler autour de l’écriture instantanée aussi, c’est un challenge avec 25 interprètes ! C’est à la fois un changement et une continuité.
Comment avez-vous approché cette création pour 25 danseurs ? Vous disiez que c’est une expérience qui n’arrive qu’une fois. Aimeriez-vous la reproduire ? Qu’est-ce que ça a changé dans votre manière de composer ?
J’ai abordé cette création à la fois avec enthousiasme, mais aussi avec inquiétude. Je n’avais jamais fait ce travail. C’est quelque chose que j’ai beaucoup aimé faire. En plus, ces danseuses et ces danseurs sont déjà de super artistes qui ont l’habitude de passer d’un univers à l’autre entre différents chorégraphes. Ils sont très à l’écoute et très malléables. Donc, je pars des interprètes sur scène, des propositions de mouvement, de matériel physique. Je guide ces propositions, dans le sens où je vais leur donner une orientation sur le type de matériel que je souhaite travailler ou sur des questionnements autour du temps, de l’espace, du relationnel entre les danseurs. Après, ce sont eux qui vont créer le mouvement.
Vous avez amené une partie de votre équipe. Quand on regarde la distribution, on vous reconnaît, cette pièce pour le Ccn-Ballet de Lorraine, c’est vraiment vous, avec votre équipe.
Petter Jacobsson m’a fait entièrement confiance. Il était là si j’avais des questions, mais il m’a donné une liberté totale sur ce que je pouvais faire. Je l’en remercie vraiment. Mais c’est vrai que si je travaillais avec 25 nouvelles personnes, je voulais aussi avoir quelques personnes avec qui j’ai l’habitude de travailler. Je suis arrivée avec des danseurs de ma compagnie, parce qu’effectivement, il faut gérer 25 personnes. Quelques fois on se sépare pour des questions pratiques. A la musique, il y a Gérôme Nox. On collabore depuis longtemps, on a fait plusieurs pièces ensemble. J’aime beaucoup son univers, je lui fais entièrement confiance sur son travail, et lui aussi me fait confiance. Ça facilite les choses. En ce qui concerne les costumes, on a travaillé avec l’atelier du Ballet de Lorraine, mais Laurence Alquier a travaillé et créé le concept.
La première partie de la pièce dure 35 minutes. Vous allez l’allonger de 20 minutes. Où allez-vous amener les danseurs, quelle piste de travail souhaitez-vous développer ?
Je ne prépare pas à l’avance. J’y réfléchis bien sûr, mais je me méfie des idées. Quand on confronte les idées à la pratique, on s’aperçoit souvent qu’elles ne tiennent pas la route. Donc je vais travailler avec les danseurs et les danseuses sur place. Maintenant, ils connaissent ma manière de travailler. Et moi aussi, je les connais désormais. Ça va peut-être nous permettre d’aller un peu plus loin dans ce travail d’écriture instantanée. Je dirais ça : approfondir, aller plus loin, dans le détail… à voir. Les répétitions n’ont pas encore commencé.
Jean-Paul Montanari, en voyant cette première partie au Ballet de Lorraine, est revenu avec l’envie de vous voir finir cette pièce, dans un « grand lieu ». Comment appréhendez-vous ça ?
De la même manière que j’ai appréhendé la proposition de faire cette pièce avec 25 interprètes. À la fois avec un très grand enthousiasme et bien sûr avec de l’inquiétude aussi. C’est quelque chose de nouveau. Je voudrais remercier Jean Paul, ça fait plusieurs pièces qu’il me soutient, il a confiance en moi, et dans le travail. C’est une très belle occasion de pouvoir justement développer ça.
Pour ce qui est du décor, vous travaillez souvent dans la boîte noire du théâtre. Au festival, vous jouez au Théâtre de l’Agora, en extérieur. Vous avez aussi collaboré avec une plasticienne, pouvez-vous nous en parler ?
Oui, j’ai une sorte de dispositif scénique que je reprends sur plusieurs pièces. Je ne dis pas que ça va être comme ça jusqu’à la fin de ma vie, mais je le constate. Ce dispositif est de recréer une scène sur la scène. Je pense qu’on va être un peu dans cette même idée. D’autant plus que cette pièce fonctionne avec une double trame. La principale se passe sur la scène dans la scène ; et la seconde se passe dans la durée et se déroule autour. C’est encore cette histoire de partir de la situation concrète puis, comment la forme va fonctionner avec cet espace, cette architecture-là ?
Koo Jeang A avait créé pour la première partie un objet lumineux qui apparaissait sur ce projet. Je ne sais pas encore si cela peut fonctionner à l’Agora… Pour cet objet lumineux, il faut un noir complet. On va voir comment on peut l’utiliser, si l’on continue de développer ça on non. Nous verrons ça sur place…
C’est très spontané !
Oui, et en même temps ça fait longtemps que je travaille comme ça. L’expérience me permet de savoir rapidement les choses qui m’intéressent, et celles qui ne m’intéressent pas. J’ai une superbe équipe autour de moi, qui connait très bien le travail. C’est aussi ça qui permet d’être dans l’instantanée et la spontanéité. Je dirais que la simplicité vient de l’expérience. Plus on avance, plus on se dit que, finalement, on peut partir de choses extrêmement simples. C’est une chose qui est en moi depuis longtemps, notamment avec la citation de Jean Grenier que j’ai souvent utilisée : « N’importe quoi mène à quelque chose ». Je retiens cette phrase et j’y reviens systématiquement. Il suffit d’être là, présent, dans une certaine situation, d’observer ce qu’il se passe, d’être avec les personnes autour de moi… En fait, tout le matériel est déjà là. Et ça, je pense que ça vient avec le temps.