Entretien avec Josef Nadj
Propos recueillis par Montpellier Danse, le 12 janvier 2024 lors de sa résidence à l’Agora, cité internationale de la danse pour la création de Quand la lune se lève.
Votre prochaine création « Quand la lune se lève » aura lieu au Festival Montpellier Danse en juin 2024 à l’Opéra Comédie. Elle fait suite à Omma, pour laquelle vous dîtes que vous faîtes « table rase » de tout votre chemin chorégraphique pour débuter un nouveau cycle. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Quand je dis « faire table rase », c’est enlever toutes possibilités de recherche visuelle avec la scénographie. Donc le plateau est nu, pour se concentrer uniquement sur le corps. Je me suis surpris de voir, avec Omma, à quel point, mes danseurs et moi pouvions nous entendre, intuitivement. La spontanéité de réponse sur mes propositions m’émerveillait. J’ai retrouvé une forme de fraicheur, de sculpter tout ça, de vouloir composer avec. Après avoir tourné beaucoup avec Omma, les danseurs ont exprimé le désir de vouloir continuer avec moi. Moi aussi, j’avais cette sensation, il restait dans mes notes beaucoup d’idées, des petits motifs que nous n’avions ni le temps, ni la nécessité de vouloir mettre. Il y avait plein de petites portes ouvertes donc j’ai dit d’accord, on recommence un travail de recherche. Bien sûr, derrière nous, il y a eu des choses ; donc on fait table rase. Ça n’a pas été facile, il a fallu faire en sorte de se débarrasser de l’effet de « trouvaille » après Omma. Il a fallu retrouver ce regard, cette innocence, ça a pris du temps.
Vous parlez d’un travail de recherche, quels ont été les prémices de ces recherches, et comment se transposent-elles dans un spectacle ?
Quand j’étais jeune, j’ai baigné dans la musique noire américaine, j’adorais le jazz. Je me suis rendu compte que, dans ma compagnie, je n’avais jamais eu de danseur venu d’Afrique, noir. Je me suis demandé ce que cela pourrait donner de m’entourer avec des danses venues de là-bas, avec ces dialogues, ce travail, ce début de travail, de repenser ce rapport au corps et à l’écriture chorégraphique. J’ai découvert que les danseurs ne connaissaient pas le jazz. C’est un espace musical hyper riche, dans les énergies, les tempos, les idées. Je leur ai fait écouter, on a analysé, et on a essayé de le transposer en langage chorégraphié. On cherche une écriture chorégraphique qui y ressemble dans l’énergie, dans la vivacité. Ça, c’est le cœur de nos recherches. On fait un voyage dans l’histoire de la danse aussi, une étude. Encore une fois, l’Afrique est en première place quand on regarde les danses traditionnelles, les rites, les danses rituelles. Ils en connaissent beaucoup parce que chacun vient d’une région avec plusieurs traditions. Notre but est de trouver un langage contemporain qui colle à leurs histoires personnelles, à notre temps, qui ne renie pas ces traditions passées mais les transforme.
Dans Omma, vous n’étiez pas sur le plateau avec les danseurs, alors que dans la prochaine création, vous les rejoignez…
Ce sont les mêmes danseurs avec qui nous avons créé Omma, sauf un, qui est parti pour d’autres projets. Je ne voulais pas le remplacer par un autre. Et d’un autre côté, il y avait cette figure de marionnette que j’avais commencé à dessiner dans la pièce. J’ai un peu changé son caractère, ce sera une personne vivante dont j’assure le petit rôle. Je ne vais pas danser avec eux, c’est comme un motif parallèle avec la pièce, que je trouvais juste, après tant d’échanges en salle de répétition et en plateau. Même si c’est symbolique, je veux le faire. Donc je partagerai le plateau avec eux au moment de la représentation. Je serai content de voir la pièce depuis le plateau même.
Comment avez-vous choisi les danseurs ?
Par petits groupes. C’est à Paris que j’ai fait l’audition. Je savais que je cherchais 8 danseurs. Je voulais un groupe. J’ai une certaine préférence sur le chiffre 8 mais je ne saurais pas expliquer pourquoi, et il y avait à peu près le double qui se sont présentés. Je les ai divisés en 3 petits groupes, et j’ai travaillé avec chaque groupe plusieurs jours, un travail technique et d’improvisation. Pour voir le niveau technique, et voir la capacité créative de chacun. J’ai trouvé très vite les 8 danseurs avec lesquels je voulais travailler. Et, en procédant de cette manière, je créais un parallèle dans nos parcours : je viens moi-même d’un autre pays, de Hongrie. Quand j’arrive en France, je rencontre la danse contemporaine, je deviens danseur puis chorégraphe. Eux ont quitté l’Afrique pour avoir d’autres expériences et connaître le travail de la danse contemporaine. Chacun d’entre-eux a déjà fait plusieurs expériences dans plusieurs compagnies. On pouvait s’entendre sur ces sujets-là, et très tôt dans le travail.
D’où vient le titre ?
Je ne m’en souviens plus… C’est souvent le cas… Dans mes lectures, je relève des mots, des bouts de phrases. Je reviens dessus, j’entends, et je vois laquelle va correspondre à l’univers dans lequel nous sommes plongés pendant la création. C’est la première fois que le titre agit un peu sur la structure de la pièce et sur ma façon de penser ou de repenser certaines choses. Ma façon de penser les 28 phases de la lune, je le vis maintenant comme une orientation pour le découpage des scènes. Donc j’ai essayé d’avoir 28 scènes dans l’ensemble de la pièce. Actuellement, je lis beaucoup sur les sciences naturelles. Je le savais déjà mais je l’ai redécouvert : il y quatre milliards d’années la Terre avait deux lunes, et une des deux a disparu, absorbée par la Terre. En ce moment, on est dans la recherche, dans le découpage, donc justement, il y a une scène que j’appelle “la lune” (tandis qu’une autre s’appelle “la Terre”). Maintenant, je recherche une variante à cette scène. Cette sensibilité par rapport à l’univers dans lequel on vit, agit directement sur la chorégraphie, sur le mouvement. Ce que je pense profondément, c’est qu’une pièce est valable seulement si elle raconte l’histoire de l’univers, s’il y a cette perceptive, ce regard, cette sensibilité qui enveloppe le tout.
Crédit photo : © Andrey Avramchuk