— Entretien avec Danièle Desnoyers et Taoufiq Izeddiou, à l’issue de leur résidence à l’Agora, cité internationale de la danse, en 2021. Propos recueillis par Nathalie Becquet et Maiwenn Rebours.
La danse contemporaine et la langue française nous relient.
Danièle Desnoyers et Taoufiq Izeddiou
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
TI : Danièle est venue à Marrakech au Festival On marche que je dirige. De là, a mûri l’idée de se connaître avec la danse.
DD : J’ai le goût de projets atypiques. J’essaie de développer des contextes favorables et extraordinaires pour travailler. Quand je suis allée à Marrakech en tant que pédagogue et artiste, je comprenais la situation qu’ils vivaient, je reconnaissais les odeurs de cette difficulté de travailler. Aller juste faire mon spectacle à Marrakech, ça n’avait pas de sens. Nous devions faire un projet commun, nous devions échanger, partager, créer.
Quel est votre parcours ?
DD : Je viens de Montréal, d’une famille qui a été très mobilisée en Afrique par les 15 années de travail de mon père, au Bénin notamment. Le territoire africain, je l’ai connue comme une blanche en Afrique mais j’étais passionnément attirée par ses cultures. J’ai étudié la danse très jeune et j’ai été diplômée de l’Université du Québec à Montréal dont je suis aujourd’hui la directrice du département danse.
TI : Je viens de Marrakech et je suis de cette première génération d’artistes à avoir fondé la danse contemporaine au Maroc. En tant que danseur, je suis né ici avec Bernardo Montet. C’était en 2002, O. More dans la Cour de l’Agora, à Montpellier Danse. Revenir ici, c’est très important pour moi, surtout avec cette co-création.
Vous provenez de continents différents, avec des visions de la danse et du corps différentes, quels chemins avez-vous empruntés pour créer ensemble ?
DD : Il fallait d’abord réunir les interprètes, eux aussi proviennent de deux régions du monde et ont été formés différemment. On a cherché les différences entre nos deux cultures pour voir comment deux régions du monde vivent la danse, même si je dis souvent que la danse est universelle, on la vit différemment selon l’endroit du monde où on est et son contexte. La question du bassin est arrivée assez rapidement,
TI : Le monde se divise en deux, le bassin du sud et le bassin du nord. Au milieu, il y a le bassin méditerranéen. Plus on se situe dans les territoires au sud du globe, plus on utilise le bassin dans la danse. En Amérique Latine, on danse la salsa et dans les pays d’Afrique, au Maghreb ou en Orient, on retrouve une pluralité de mouvements de hanche. Mais quand on monte au nord, ça disparait. Le bassin devient une vraie question politique dans cette pièce qui associe Montréal à Marrakech, le nord de l’Amérique au Maroc.
Comment les interprètes ont-ils réagi ?
DD : Chourouk et Myriam sont les deux femmes du projet, l’une vient de Marrakech, l’autre de Montréal. La question du bassin rejoint aussi leur condition de femme. Qu’est-ce que ça veut dire pour une femme de Montréal de danser essentiellement à partir du bassin ? Myriam ne l’associe à aucune tradition, aucune représentation familiale, son imaginaire s’oriente vers des danses lascives associées à la séduction. Pour Chourouk, la signification est différente, elle est une femme marocaine, ce n’est ni la même perception ni la même sensation. La danse émerge d’un contexte.
TI : La danse émerge d’un contexte et en même temps cette pièce va plus loin, c’est une vraie interrogation pour nos deux univers, nos deux façons de voir la formation et l’interprète, comment on aborde la matière, comment on écrit, comment on emmène tout le monde sur le même bateau. Cette pièce est un prétexte pour interroger la danse avec un grand “D”. Même si on parle de traditions dans la pièce, on n’est pas dans une division Nord/Sud, Est/Ouest, on questionne vraiment le langage du corps. Parfois je vois l’histoire de la danse sur scène, parce qu’on voit des influences de la tradition, du hip hop, du classique, de la salsa et finalement c’est le contemporain nous réunis. Et nous nous sommes là pour trouver une couleur et un goût à tout ça.
DD : J’apprécie cette forme d’horizontalité dans le sens qu’on a très rarement pris exemple sur le corps de l’autre, il fallait qu’on se réunisse physiquement, qu’on développe un langage commun.
TI : La danse contemporaine et la langue française nous relient.